Incohérence pédagogique ?
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J’ai récemment participé à une rencontre avec l’institutrice de l’un de mes fils, où un détail m’a frappé. Alors que l’enseignante tentait de présenter son programme en articulant difficilement derrière son masque chirurgical (« On ne fera pas beaucoup de sorties scolaires cette année, mais on va se lancer dans des défis écologiques »), la moitié des parents présents avaient, à un instant ou un autre, le nez collé sur leur smartphone.
D’une certaine manière, le constat de cette addiction de masse m’a rassuré : il m’a apporté la confirmation que je n’étais pas le seul à gratifier mes enfants d’une éducation totalement incohérente, où chaque précepte affirmé avec l’emphase d’un militant luddite – « Arrêtez de regarder les écrans, c’est très dangereux ! » – est suivi d’une attitude totalement contradictoire, baignée dans un halo de lumière bleutée – « Mmmmouais poussin, Papa va venir te faire un bisou, mais avant il doit envoyer un dernier message de la plus haute importance au service après-vente d’Ikea… » (et terminer cet épisode de BoJack Horseman, mais ça, chut, il ne faut pas le dire).
En 2017, une campagne de sensibilisation allemande articulée autour du slogan suivant – « Avez-vous déjà parlé à votre enfant aujourd’hui ? » – soulignait à sa manière l’étrange schizophrénie du parent connecté. En effet, en Poméranie comme ici, nous craignons tous plus ou moins que l’omniprésence des écrans ne perturbe le développement cognitif de notre progéniture, sans nous apercevoir que nous sommes les premiers à en faire un usage immodéré.
Une étude de la Boston University School of Medicine a notamment montré que l’usage des technologies mobiles par les mamans durant les repas (pourquoi cette étude ne porte-t-elle que sur les mamans, la science ne le dit pas) réduisait de 20 % les interactions verbales avec l’enfant, et de 39 % les interactions non verbales. Problématique, cette présence-absence débouche sur une attention dégradée aux autres, qui menace l’écologie relationnelle de la famille. A force d’être quotidiennement renvoyés au fait qu’ils sont moins attrayants qu’un fil Twitter, 32 % des enfants se sentent sans importance (étude AVG technologies). [...] (1) ©
« Papa, tu regardes trop les écrans ! », me répètent régulièrement mes fils, inversant totalement la relation éducative. Cela produit-il un effet quelconque sur mon cerveau anesthésié ? Oui, je peux éventuellement soulever une paupière et grommeler un truc désagréable. D’après une étude menée dans une quinzaine de fast-foods par des chercheurs du Boston Medical Center, les parents interrompus dans leur tango cognitif avec leur smartphone sont plus enclins à répondre de manière agressive à leurs chers bambins. Si votre père vous balance un « Finis tes nuggets fissa ou je te supprime le cadeau de ton Happy Meal ! », c’est donc que vous l’avez bien cherché.
Face à ces constats divers mais congruents, il apparaît que, aveugles à notre propre addiction aux doudous numériques, nous sommes en réalité extrêmement mal placés pour dire à nos enfants d’arrêter de regarder les Pyjamasques sur la tablette. C’est comme si un fumeur de crack vous invitait à y aller mollo sur la cigarette électronique. (1)
Dans son blog, le psychiatre Serge Tisseron avance même que cette incohérence éducative, qui se résume par la maxime « fais ce que je dis, ne fais pas ce que je fais », pourrait être une des causes des comportements problématiques rencontrés chez les plus jeunes, et ce pour plusieurs raisons : là où l’imitation motrice conduit les petits à reproduire les attitudes des grands, l’attention conjointe les fait s’intéresser à ce qui semble nous captiver. [...] (2) ©
Sources :
(1) SANTOLARIA Nicolas, “Papa, tu regardes trop les écrans”, Le Monde, 2020. https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2020/09/20/papa-tu-regardes-trop-les-ecrans_6052894_4497916.html
(2) TISSERON Serge, Enfants et écrans, ne créons pas une nouvelle catégorie diagnostique qui nous ferait oublier notre responsabilité, 2018.https://sergetisseron.com/blog/enfants-et-ecrans-ne-creons-pas-une-nouvelle-categorie-diagnostique-qui-nous-ferait-oublier-notre-responsabilite/